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La Nouvelle-Calédonie, territoire français à l'histoire tourmentée au milieu du Pacifique

Conquise en 1853, colonie française jusqu'en 1946 devenue un territoire de la République, la Nouvelle-Calédonie est en proie à de violentes émeutes depuis deux jours, du fait d'une réforme électorale controversée faisant resurgir l'histoire tourmentée de cet archipel de l'océan Pacifique Sud.

- Colonie de peuplement -

Le 24 septembre 1853, sur ordre de Napoléon III, la France prend officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie, située à 18.000 km de la métropole et à 2.000 km de l'Australie. La capitale Port-de-France, aujourd'hui Nouméa, est fondée en juin 1854.

Le peuplement de la Nouvelle-Calédonie est marqué à partir de 1864 par la colonisation pénale, plus de 20.000 bagnards y étant détenus jusqu'en 1897. Parmi eux, des milliers de prisonniers politiques sont déportés après 1871, année où la Commune de Paris et une insurrection kabyle en Algérie, autre ancienne colonie française, sont violemment réprimées.

Des "réserves" sont instaurées pour les indigènes, qui se voient dépossédés de leurs terres et soumis au travail obligatoire. L'exploitation du nickel, poumon économique de l'archipel, aujourd'hui en crise, entraîne plusieurs vagues de migration, notamment asiatique, tahitienne ou antillaise.

"La Nouvelle-Calédonie a été historiquement avant tout une colonie de peuplement, observe Benoît Trépied, anthropologue et spécialiste de cette problématique, interrogé sur la radio France culture. C'est une terre lointaine du Pacifique que la France a conquise non seulement pour exploiter les ressources mais aussi pour créer une nouvelle société locale."

- Kanak et Caldoches -

Quelque 271.400 habitants, selon le dernier recensement de 2019, vivent dans l'archipel, dont les lagons exceptionnels sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. Parmi eux, 24% de la population est issue de la communauté européenne, dont les Caldoches, descendants des colons blancs.

Les Kanak, premiers habitants du pays, sont progressivement devenus minoritaires (41% des habitants aujourd'hui) en Nouvelle-Calédonie, territoire situé à au moins 24 heures de vol de Paris, qui a connu plusieurs soulèvements.

Dès 1878, une révolte kanak éclate contre la spoliation des terres. Quelque 600 insurgés et 200 Européens sont tués, des tribus anéanties et 1.500 Kanak contraints à l'exil.

Si la Nouvelle-Calédonie devient un Territoire d'outre-mer (TOM) en 1946 et les Kanak obtiennent la nationalité française, puis le droit de vote, des violences les opposent aux Caldoches dans les années 1980, dont la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988 constituent le point culminant. Quelque 19 militants kanak et deux militaires français périssent.

- "Décolonisation" -

Un mois plus tard, les accords de Matignon scellent la réconciliation, au travers d'un rééquilibrage économique et d'un partage du pouvoir politique. Ils sont suivis en 1998 par l'accord de Nouméa qui dote l'archipel d'un statut unique dans la République française reposant sur une autonomie progressive.

Trois référendums sont prévus dans ce cadre. Le premier, en 2018, voit le non à l'indépendance l'emporter à 56,7%, ce que confirme la deuxième consultation populaire, en 2020 (53,26% de non). En 2021 le non l'emporte à 96,5%, mais les indépendantistes contestent la validité du scrutin, marqué par une forte abstention en pleine épidémie de Covid-19.

Les accords de Nouméa visent également à la "construction d'une citoyenneté calédonienne (...) dans la France mais avec une vocation d'émancipation", souligne Benoît Trépied, pour qui "le coeur du problème" reste de savoir "comment sortir d'une situation coloniale autrement que par la violence".

Le Comité spécial de la décolonisation de l'ONU considère encore la Nouvelle-Calédonie comme l'un des 17 "territoires non autonomes dans le monde", "dont les populations ne s'administrent pas encore complètement par elles-mêmes".

- Réforme controversée -

Une révision constitutionnelle prévoyant l'élargissement du corps électoral à tous les natifs calédoniens et aux résidents depuis au moins dix ans pour les élections provinciales, votée le 2 avril 2024 au Sénat, puis dans la nuit de mardi à mercredi par l'Assemblée nationale, a récemment mis le feu aux poudres.

Cette réforme, pour être adoptée, doit être approuvée par le Congrès à Versailles, qui devrait se réunir "avant la fin juin" selon le président Emmanuel Macron.

Si elle l'était, quelque 25.000 personnes, dont la moitié nées en Nouvelle-Calédonie, intégreraient le corps électoral, ce qui modifierait "profondément les équilibres politiques", selon Benoît Trépied.

"Ceux qui sont issus de ce qu'on appelle le peuple premier se considèrent plus légitimes que les autres, mais ceux qui sont arrivés par les aléas de la vie considèrent que c'est aussi leur terre et qu'ils doivent être traités de manière égale", justifiait mercredi matin le rapporteur du projet de loi Nicolas Metzdorf, député de Nouvelle-Calédonie (majorité), sur la radio France Inter.

A l'inverse, "pour les indépendantistes, le corps électoral, c'est la mère des batailles depuis l'origine", analyse Philippe Gomès, ancien président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, hostile à l'indépendance. "Ils ne peuvent pas s'empêcher de penser qu'à la sortie, la République française veut une nouvelle fois les diluer dans leur propre pays."