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Le salaire "décent", une notion ancienne différente du Smic

Le salaire "décent", que des dizaines de multinationales à travers le monde se sont engagées à mettre en oeuvre dont Michelin cette semaine, est une notion déjà ancienne, mais sans définition unique. Elle s'articule avec la notion de salaire minimum mais s'en écarte, expliquent des économistes.

- Comment est défini le salaire "décent"?

La notion ne fait pas consensus.

Depuis 2022, une loi européenne demande aux Etats membres de "s'assurer que leurs salaires minimaux nationaux permettent aux travailleurs de vivre décemment" sur la base d'"un panier de biens et de services à des prix réels" ou en le fixant "à 60% du salaire médian brut et 50% du salaire moyen brut".

Les entreprises peuvent aussi adhérer depuis 2000 au Pacte mondial des Nations unies, qui définit un "salaire vital" ("living wage" en anglais) pour lutter contre la pauvreté au travail.

Le 15 mars dernier, l'Organisation internationale du travail (OIT) a défini le salaire vital comme "le niveau de salaire nécessaire pour assurer un niveau de vie décent aux travailleurs et à leur famille".

Cette définition recoupe celle de la "Global Living Wage Coalition", utilisée notamment par le label de commerce équitable Fairtrade. Les dépenses couvertes doivent comprendre "alimentation, eau, logement, éducation, santé, transports, vêtements et autres besoins essentiels, y compris de l'épargne pour faire face à l'imprévu".

Se basant sur les besoins et non sur le salaire, un rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) définit un budget de référence permettant "de faire face aux nécessités de la vie quotidienne et de participer pleinement à la vie sociale". Il variait en 2018 de 1.419 euros en milieu rural à 1.863 euros à Paris pour un actif seul. Le Smic net était cette année là à 1.173,60 euros.

Le Premier ministre Gabriel Attal, qui affiche sa volonté de "désmicardiser" la France, a insisté jeudi sur BFMTV sur l'importance de "pouvoir progresser dans votre carrière, de vivre décemment", sans définir cette notion.

- Quelles entreprises sont concernées ?

Elles sont peu nombreuses.

En juillet 2021, la coalition Business for Inclusive Growth (B4IG), qui regroupe plusieurs dizaines de multinationales dont BASF, Capgemini, Danone, Henkel, Kering, L'Oréal, Michelin, Microsoft, Renault et Unilever, s'est engagée à ce que 100% de ses salariés gagnent un salaire décent en 2030. Elle a adopté un plan d'action pour intégrer progressivement à cet objectif les sous-traitants.

Michelin a détaillé mercredi son calcul d'un salaire décent: 39.638 euros par an pour un salaire brut à Paris, 25.356 euros à Clermont-Ferrand, où est le siège du groupe. Le Smic s'élève à 21.203 euros bruts.

Au Brésil, le salaire "décent" de Michelin est de 37.347 reals (pour un salaire minimum à 16.944 reals) et en Chine 69.312 yuans (salaire minimum 29.040 yuans à Pékin).

- Qu'en disent les économistes ?

Selon le chercheur de l'IRES Pierre Concialdi, le concept de salaire "décent" remonte "à l'encyclique rerum novarum du pape Léon XIII (1810-1903) qui disait que le salaire devait permettre au salarié à sa famille d'avoir accès à un minimum de ressources décent".

D'après des travaux qu'il a réalisés en 2022, il faut au minimum 2,84 Smics pour un couple avec deux enfants pour vivre décemment, et 1,23 Smic pour une personne seule.

L'économiste Henri Sterdyniak rappelle qu'il y a environ 75 ans, lors de l'instauration du salaire minimum garanti (SMIG), la situation était très différente: la France était divisée en plusieurs zones de salaire, le salaire de l'homme était complété par "une allocation de salaire unique" de son épouse et les allocations familiales étaient "très généreuses".

Ce que fait Michelin, en se basant sur les besoins d'une famille de quatre personnes, est anachronique, selon lui. Aujourd'hui, "le modèle français, c'est 80% des couples qui travaillent à plein temps". "Michelin c'est le progrès social et en même temps le paternalisme, le retour à une situation où la femme ne travaillait pas".

"En proposant une telle mesure, Michelin indique que le salaire n'est pas l'ennemi de l'emploi alors que depuis trop longtemps il est considéré que le salaire doit être très bas pour garantir l'emploi", analyse pour sa part Philippe Waechter, économiste chez Ostrum Asset Management.

Cette démarche a aussi une conséquence sur la rémunération des dirigeants, dit-il à l'AFP: "Est-il possible de développer au sein d'une entreprise la problématique du salaire décent tout en rémunérant les cadres dirigeants à un niveau proche de l'indécence ? Cela n'apparaît pas compatible".