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Les grands investisseurs s'inquiètent des perspectives de la dette française

Certains des plus grands investisseurs mondiaux évitent de s'exposer à la dette française, jugée trop peu rémunératrice alors que les finances publiques se dégradent.

"Nous sous-pondérons fortement les souverains français. La situation budgétaire nous inquiète vraiment", explique David Zahn, responsable de l'obligataire européen chez Franklin Templeton, qui gère 1.400 milliards de dollars d'actifs.

Bercy n'a pas souhaité faire de commentaires pour cet article, mais la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot a défendu mercredi un programme de stabilité "sûr, cohérent et responsable".

Les rendements des bons du Trésor français se sont légèrement écartés de ceux de leurs homologues allemands et néerlandais ces dernières semaines, tandis que l'écart avec les rendements italiens et espagnols, des pays jugés plus à risque par les investisseurs, s'est resserré ces douze derniers mois.

L'écart de rendement sur le 10 ans entre la France et l'Allemagne tourne autour de 50 points de base, en ligne avec sa moyenne de 2022 et 2023, mais deux fois plus élevée que sa moyenne d'avant la pandémie.

David Zahn estime que cette prime n'est pas suffisante et qu'elle devrait progresser de 30 points de base, à un niveau similaire à celui de l'Espagne, pour compenser convenablement les risques.

La France, deuxième économie de la zone euro, est aussi son premier emprunteur, la dette française totalisant 2.460 milliards d'euros. Mais la hausse de l'endettement dans le monde entier inquiète les investisseurs et les observateurs, le Fonds monétaire international (FMI) plaidant mercredi pour une meilleure maîtrise des dépenses publiques.

Les marchés seront attentifs aux analyses des agences de notations : Fitch et Moody's publieront leurs avis le 26 avril, et S&P Global publiera le sien le 31 mai. Moddy's a prévenu le mois dernier que Paris devrait baisser davantage les dépenses publiques, tandis que S&P Global attribue des perspectives négatives à la dette française, ce qui augmente le risque d'une baisse de la note.

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Thomson ReutersFrance's budget deficit widened in 2023

RISQUES

Les marchés sous-estiment les risques liés à la France, selon Chris Jeffery, responsable de la stratégie macro chez Legal and General AM, le premier investisseur britannique.

Chris Jeffery est sous-pondéré en OAT depuis mi-2023, et relève que la notation de crédit de l'Espagne est bien inférieure à celle de la France, malgré un déficit et un ratio de dette sur production plus faibles.

L'écart est "insoutenable", d'autant que la France a "les fondamentaux macros les plus faibles des grandes économies européennes, mais sa taille et son statut politique rend les agences de notation trop indulgentes", ajoute Chris Jeffery.

Les investisseurs estiment que les dérapages budgétaires continueront d'être tolérés tant que les titres français seront considérés comme des actifs sûrs pour la zone euro, le marché de la dette française étant profond et la notation de crédit atteignant AA, la deuxième meilleure note.

"Nous sommes neutres sur la France, car les problèmes budgétaires ne seront pas suffisant pour créer beaucoup de volatilité", explique James Ringer, gérant chez Schroders, qui s'attend à ce que la France conserve sa notation AA pour un moment.

La croissance française demeure par ailleurs supérieure à la moyenne de la zone euro, et la maturité de sa dette est supérieure à celle de l'Espagne, de l'Italie et de l'Allemagne, ce qui ralentit la transmission des taux élevés au coût de la dette, explique Deutsche Bank.

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Thomson ReutersItaly, Spain borrowing costs have narrowed relative to France

REFORMES

Les marchés ont largement ignoré les risques liés à l'Italie, dont les souverains ont surperformé les titres comparables malgré des indicateurs budgétaires bien moins bons. L'écart de rendement avec les titres allemands est toutefois plus élevé que pour la France.

La France et l'Italie devraient faire face à une procédure de réduction du déficit cette année.

Rabobank prévoit un déficit à 3,6% en 2028, creusé par la hausse des coûts d'emprunts. Une baisse sous les 3% ne serait possible que si le déficit hors versements d'intérêts demeurait proche de zéro pour quelques années, alors que la France est le pays dont les dépenses rapportées à la production sont les plus importantes des économies développées.

En l'absence de réformes, Morgan Stanley prévoit une hausse de la dette à 132% du PIB d'ici 2040, contre 111% actuellement, tandis que le ratio pour l'Italie et l'Espagne demeurerait proche de ses niveaux actuels, à 136% et 111%.

L'éclatement des partis politiques en France complique les réformes, selon Ales Koutny, responsable des taux chez Vanguard, le deuxième gérant mondial, qui sous-pondère la France et favorise l'Espagne.

"Des réformes ou une croissance plus élevée nous encouragerait à détenir des titres français", explique Ales Koutny.

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